Petite fille, laisse moi te raconter une histoire...
Nous sommes le 25 Décembre 2004. Une famille comme la tienne est en train de fêter Noël. La petite de huit ans veut jouer avec son frère car sa poupée n'a pas de mari et lui a justement reçu un "Action Man". Finalement, les deux enfants s'entendent. Plus loin, la mère prépare la journée qu'ils passeront avec des amis le lendemain. Beaucoup de chose sont prévus et on annonce du beau temps. Le père, lui, est à la pêche et la mère peut même l'apercevoir depuis sa fenêtre, dans cet hôtel somptueux. Cela faisait des années que cette famille européenne rêvait de passer des vacances en Indonésie, c'était merveilleux...
26 Décembre 2004.
Les amis sont arrivés, il fait un temps magnifique et pendant que le père est à la pêche, la mère, les enfants et les amis se baignent dans l'eau chaude. Se baigner en plein mois de décembre est un vrai régal ! Soudain, il y a un grand bruit, suivi d'un tremblement terrible... Tout le monde crie, même les habitants de l'île, peu habitués à un tremblement si fort. La mère faire sortir tout le monde de l'eau tandis que le père les rejoint quelques minutes plus tard.
Pendant cinq minutes, le temps semble s'être arrêté, puis, voyant que tout le monde reprend son activité normale, la famille se rassure et retourne à la plage.
Un grondement léger se fait entendre. Personne n'y prête attention. Un avion peut-être... Mais ce n'est pas un avion. La mère le comprend quand des minutes plus tard, le bruit n'a pas cessé et s'accentue à chaque seconde. Un mauvais pressentiment, voilà ce que ressent cette mère qui a toujours eu l'habitude d'être inquiète. Elle demande à un de ses amis d'aller chercher son maris. Celui-ci la rassure en lui disant que c'est un écho du séisme. Qu'est-ce qu'il en sait ?
Elle aurait mieux fait de ne pas se sentir rassurée par ces paroles mais ça n'a pas été le cas et lorsque cette mère aperçoit au loin cette ligne blanche dépassant de l'horizon et ce grondement toujours plus fort ; là elle sait.
Que faire ? Qui prévenir ? Il y a tant de monde insouciant autour d'elle !
Elle commence par prévenir son mari qui prend alors horriblement conscience de ce qui se prépare. La ligne est maintenant un mur, un mur mousseux et rugissant.
La panique commence quand le monstre d'eau avale les premiers bateaux. Ceux qui ne sont pas assez paniqué pour ne plus pouvoir réfléchir se ruent jusqu'à leur demeure pour sauver quelques affaires avant de se réfugier sur les hauteurs. Parmi eux certains voudront sauver trop de chose et oublieront de sauver le principal : leur vie.
La famille court aussi vite qu'elle peut mais l'eau est trop rapide. Alors la mère agrippe la main de sa fille le plus fort possible et le père fait de même pour le petit. Prenant conscience que l'eau les rattrapera avant qu'ils n'arrivent à l'abri, les deux parents se dirigent vers une balustrade de fer et s'y agrippe de toutes leurs forces.
Le courant est trop fort. Ils ne peuvent s'agripper qu'à une main car ils tiennent leurs enfants et ne les lâcheraient pour rien au monde mais le courant est bien trop fort... Les parents sentent les doigts tremblant de leurs enfants leur échapper, ils essaient de les retenir, ils essaient. Mais la nature est trop forte et emporte les deux petits. Les parents hurlent, ils hurlent à s'en déchirer les cordes vocales et pleurent de douleur. L'heure n'est pas aux pleurs, se dit la mère, pas encore, l'heure est à la survie. Le père n'en pensait pas autant. Dans un mouvement de désespoir, il lâche la balustrade pour rattraper son fils et se rend immédiatement compte qu'il vient de faire une grave erreur. Cependant, il parvient à rattraper le garçon et c'est ainsi qu'ils disparaissent sous les flots.
Ayant maintenant les deux mains libres, la mère s'agrippe de plus belle. Elle n'a que la tête hors de l'eau et songe que ce serait tellement facile de tout lâcher maintenant. Mais elle résiste et se promet de ne pas mourir ce 26 Décembre 2004.
Cette femme n'est pas morte le 26 Décembre 2004.
Dans une état de fatigue intense, elle a été admise dans un hôpital, encore en état. Là-bas, elle a vécu entouré de la détresse de milliers de personnes. Une semaine plus tard, elle est de nouveau dehors mais n'a plus rien. Sa carte d'identité et le peu d'argent qu'elle avait pensé à prendre durant sa fuite ont été emporté par l'eau.
Tel un zombie, elle décide de rechercher ses enfants et son mari. C'est durant cette recherche qu'elle croisera un journaliste à qui elle racontera son histoire. Ce jeune homme l'aidera, avec les secours à retrouver son mari et son fils, le mari les mains crispées sur la peau du petit garçon ; on ne retrouvera jamais la petite fille. Cette mère les a enterré et est décédée deux semaines plus tard, d'une maladie attrapée sur les lieux à l'hygiène affreuse après un tel drame.
Voilà petite fille mon histoire. Je me suis demandée quand je l'ai entendu, si j'aurais eu le courage de cette mère, de toujours aller de l'avant jusqu'au bout. Cette envie de lâcher prise, d'abandonner sa vie à cet instant où on n'a jamais connu pareil souffrance, qui peut dire ce qu'il aurait fait à ce moment ? Ce moment où on se demande si la vie vaut encore la peine d'être vécu lorsqu'on vient de voir la mer emporter sous nos yeux ce à quoi on tenait le plus. J'aurais probablement passé mes journées à pleurer. En fin de compte, ces sinistrés sont les gens les plus courageux au monde à cet instant, pour avoir le courage et la force d'avoir encore envie de vivre après tout ça.
"Mais être forte, c'est ne pas pleurer et continuer d'avancer." Non, petite fille, être forte, c'est laisser couler ses larmes, les assumer, les accepter et une fois qu'on a assez pleuré, continuer, aller de l'avant.
Cette famille n'a pas existé, c'est une fiction. Mais peut-être, par hasard, existe-t-il une famille ayant connu le tragique destin lors du Tsunami d'Asie, le 26 Décembre 2004...